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Le blog du Cononomiste - L'économiste hétérodoxe

Publier un essai chez L'Harmattan - ou comment devenir marchand de tapis

22 Juin 2016 , Rédigé par Le Coconomiste Publié dans #Et ta sœur ?

Il y a peu, je recevais un courriel d'un fan inconditionnel :

"Bonjour Coconomiste,

Je suis doctorant en Economie, et ai publié mon essai, La relance économique par tous les moyens, chez l'Harmattan. Tu peux imaginer quelle fut ma joie en découvrant qu'un des plus grands éditeurs français s'intéressait à mon ouvrage ! Pourtant, je n'ai pas gagné un sou, et mon livre se vend mal.

Moi, qui espérais changer le monde en éveillant les consciences grâce à mon livre, me suis trouvé confronté à une situation des plus délicates. Mon éditeur ne me répond même plus quand je le contacte ! Que dois-je faire ? Au secours !"

Bon, déjà, on se calme. Avant toute chose, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, étant donné que je n'ai pas envie de me retrouver en procès, nous allons rebaptiser ce cher éditeur Zobi. Inutile de passer par quatre chemins : Zobi est un escroc.

Aie confiansssse, crois zen mooooi !
Aie confiansssse, crois zen mooooi !

Le contrat de Zobi

Déjà, premier truc vachement bizarre, quand Zobi te contacte, c'est par courrier, et exclusivement par courrier. Zobi, il n'aime pas que tu l'appelles - ou seulement en dernier recours, si t'as besoin de faire l'aumône auprès de lui. Donc, je disais, il t'envoie un contrat par courrier, que tu dois lui renvoyer signé dans trois mois.

Dans ce contrat, qu'est-ce qu'il y a ? Tout un tas de trucs chiants que t'as pas envie de lire. Le plus important, c'est que, déjà, on te fait savoir que tu vas devoir te taper toutes les corrections, ainsi que toute la mise en page. Oui, visiblement, Zobi, l'édition, c'est pas son métier.

Passons là-dessus. Ensuite, Zobi te signale qu'il n'a aucun distributeur, que ton chef-d'oeuvre philosophico-littéraire ne sera tiré qu'à trois-cent exemplaires, et que tu devras toi-même t'en acheter des exemplaires - pour les vendre à ton clan familial sans doute... Alors là, tu te dis : "Zobi n'a donc aucun moyen de faire ta promo ?" Ben non, il n'en a aucun. Du coup Zobi s'enrichit sur ton dos. S'il a un si gros chiffre d'affaires, c'est grâce aux auteurs qui achètent en masse leurs propres livres. Et comme Zobi publie beaucoup d'auteurs, il dispose d'un large vivier pour se remplir les poches.

Gâteau sur la cerise, Zobi t'aliène de ton oeuvre pour le restant de ton existence. Même ta descendance en est privée. Bref, t'es niqué.

L'expérience du Coconomiste chez Zobi

Tu te doutes bien que, s'il t'en parle avec tant de vergogne, c'est que le Coconomiste a, lui aussi, dans ses jeunes années d'insouciance, publié son essai qui allait révolutionner la pensée humaine chez Zobi.

Trop content de recevoir une réponse positive d'un éditeur, il a signé sans presque hésiter. Faut dire que, en plus, c'est pas évident de trouver un éditeur lorsque l'on écrit des trucs en rapport avec l'économie, la socio ou la philo - sauf bien sûr à écrire de la merde facile à vendre.

Une fois le contrat signé, et le titre de ton bouquin transformé - faut pas trop déborder ; même si tu vas pas vendre un seul exemplaire de ton livre, faut en changer le titre -, te voilà lancé dans la communication et la distribution. Et là, c'est le drame ! Zobi t'envoie un courrier en t'expliquant comment tu dois t'occuper de ta communication ! Contacte la presse locale, va voir les libraires du coin, appelle ta grand-mère etc. En gros, Zobi branle rien et toi, tu t'occupes de tout.

Là où ça devient chaud, c'est quand ton bouquin est demandé, et que Zobi est incapable de suivre.

L'art de la promotion chez Zobi - ou l'atelier d'apprentissage des marchands de tapis

Peu de temps après la parution de l'ouvrage, j'ai été contacté par un journaliste local. Il était intéressé par le thème traité et m'a proposé une interview. J'ai accepté. L'interview a paru en version papier et sur le net. Plusieurs milliers de vues, des milliers de partages sur les réseaux sociaux. Le Coconomiste a été un peu dépassé par les événements...

Voilà pas qu'on me demande de monter dans une grande ville de province donner une conférence ! Bien sûr, j'accepte. Je contacte mon éditeur, lui demande des exemplaires de presse, des exemplaires d'auteur, et de financer ma conférence à Paris. Ça s'est sacrément corsé...

Alors, déjà, je reçois cinq pauvres exemplaires d'auteur chez moi avec une faute d'orthographe sur mon nom sur la première de couverture ! Oui, oui, je suis sérieux. Quant aux exemplaires de presse, il a fallu pleurer pour les avoir - et ils sont arrivés trop tard. Résultat, j'ai dû filer à la presse mes propres exemplaires, ce qui m'en faisait moins à vendre ou à donner.

En ce qui concerne les exemplaires dont j'avais besoin pour la dédicace... Mon dieu ! Pour Zobi, pas question de me les offrir ! Il fallait que je les achète avec une remise de trente pour cent... Ben voyons ! Comme la responsable de distribution était dure en affaire, je me suis dit que j'allais appeler directement le big boss. Avec lui, j'ai réussi à négocier une remise de cinquante pour cent moins les frais de port. Youhou ! Pas du luxe, mais c'était mieux que rien.

SAUF QUE :

- Ils ne m'ont pas envoyé tous les exemplaires en temps et en heure. J'ai tout vendu lors de la dédicace, mais ai perdu du fric à cause du manque à gagner.

- Il a fallu que je négocie pour qu'ils récupèrent les autres exemplaires - qu'ils voulaient me laisser.

Et c'est pas fini !

Comme il y avait une grosse demande, j'ai demandé à Zobi de contacter les libraires locaux au plus vite. Ce que Zobi a fait - au plus lentement. Résultat des courses : je n'ai vendu qu'une misérable centaine d'exemplaires de mon bouquin.

Certes, quand on écrit ce genre de livre, on aspire pas à faire un best-seller, à gagner plein d'oseille avec. Mais de là à se tirer une balle dans le pied, y a de la marge !

Depuis, Zobi n'a fait aucun effort de promotion supplémentaire. Le livre doit croupir quelque part dans ses imprimeries - ou dans ses bennes à ordures. Ou alors, il en a tellement rien à foutre qu'il se torche avec les surplus que je lui ai renvoyés. Et qu'il n'a jamais distribués à des libraires.

Réponse à mon fan inconditionnel

Cher fan inconditionnel, tu l'auras compris, si tu as publié chez Zobi, t'es bien mal embarqué. Déjà que t'es doctorant en Economie - ce qui n'est pas une mince affaire -, tu viens de publier chez Zobi... Pauvre bougre !

Cela dit, tout n'est pas noir. Au moins, ça te fera une ligne supplémentaire sur ton CV. Les économistes, ils y connaissent que dalle au monde de l'édition, et ils s'en tamponnent le coquillard de vendre leurs écrits. De toute façon, personne ne les lit. Avec un peu de chance, ils trouveront ça cool que tu aies publié ton bouquin ; et ça te permettra peut-être de gagner ta place au soleil !

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